Lundioumardi, un observatoire par la lecture

Le jour du Jugement dernier, lorsque les conquérants et les hommes d’État viendront recevoir leur récompense, le Tout-Puissant se tournera vers Pierre et lui dira, non sans une certaine envie et en nous voyant arriver avec nos livres sous les bras : « Regarde, ceux-là n’ont pas besoin de récompense. Nous n’avons rien à leur donner. Ils ont aimé lire. »

Virginia Woolf, Comment lire un livre.

Il est absurde de se donner des règles absolues sur ce qu’il faut lire et ce qu’il ne faut pas lire. Plus de la moitié de la culture moderne repose sur ce qu’il ne faut pas lire.

Oscar Wilde, Aphorismes.

Lundioumardi est le blog d’un lecteur pessimiste mais non désabusé qui entend valoriser le pouvoir de l’écrit dans la compréhension que l’on peut avoir d’une société en perpétuels mouvements. Des mouvements furtifs, souvent contradictoires, difficiles à évaluer mais qui posent à l’unisson la question fondamentale du Progrès. Un Progrès devenu la justification de ces nombreux mouvements – économiques, sociaux, politiques, scientifiques et culturels – avec une telle puissance que l’on oublie trop souvent d’en interroger le bon sens et les conséquences qui en découlent. Plus naturellement encore de se demander si tout progrès est bon à suivre sous prétexte qu’il en a le nom. Cioran ne disait-il pas que « Le progrès n’est rien d’autre qu’un élan vers le pire »[1]

Dans la citadelle pensive qui est la mienne, la lecture reste l’hypothèse la plus valable pour aborder une réflexion sur le monde qui nous entoure. Comme le rappelait Victor Hugo le plus simplement du monde : « Qui lit pense, qui pense raisonne »[2]. D’une façon différente mais avec une intention semblable, Marcel Proust avait également défini le rôle qu’il assignait à la lecture. Dans un court texte servant de préface à la traduction de Sésame et les lys de John Ruskin[3], il faisait d’elle l’inévitable point de départ pour accéder aux portes d’une vie de l’esprit. Un siècle plus tard, qu’en est-il de notre rapport à la lecture ? Certainement tout autre !

La maîtrise du langage et les évolutions qu’il rencontre sont indissociables de ces sujets – une langue de plus en plus ignorée quand elle n’est pas carrément malmenée, réputée pour ses difficultés d’usage mais aussi ses subtilités, sa richesse et ses potentialités. Ce patrimoine se bat aujourd’hui contre un jargon marketing, un langage SMS, un style journalistique et ses autres dérives médialectiques. Autant de modes d’écriture, de lecture et donc de pensée qui sont désormais légion pour s’exprimer dans le vaste monde, au risque finalement de ne plus du tout le comprendre.

J’entends déjà venir les critiques : « réactionnaire », « bien-pensant », « vieux con » peut-être… Elles ne sont déjà que le révélateur d’une vacuité argumentative et c’est cuirassé comme un scarabée que je me proposerai d’y répondre. Pour les autres, un texte sera publié chaque lundi ou mardi – la paresse n’existe pas sans le travail pour la cerner – afin de discuter d’un texte (romans, essais, articles de presse, etc.) et d’en dégager une substance. Toutes les contributions étrangères seront accueillies sans autre restriction que la médiocrité dont, je vous prie de m’excuser par avance, je serai l’unique censeur.

Benoit Colboc

benoitcolboc@orange.fr.

[1] CIORAN Emil, L’élan vers le pire, Paris, éd. Gallimard, 1988.

[2] HUGO Victor, L’Homme qui rit, 1869.

[3] Sésame et les lys sont deux conférences prononcées par l’écrivain, poète et critique d’art John Ruskin (1819 – 1900) dont la traduction française a été réalisée par Marcel Proust à partir de 1904. Il en rédigea également la préface sous le titre Sur la lecture. Un texte dans lequel il revient sur ses souvenirs d’enfance liés à ses lectures, avant de se faire plus critique et de se démarquer de Ruskin, lui portant régulièrement dans ses notes de bas de page, la contradiction et élaborant au long de sa réflexion sa conception de l’écriture.