Matthieu Freyheit à rebours du sillon de ses phares

par lundioumardi

Garçon-Renoncélundioumardi

Six parties, temps, mouvements dans Le Garçon renoncé de Matthieu Freyheit qui écrit d’un je fort le tout juste homme sorti de l’adolescence. « Voilà, voilà ma vie à moi, qui ne tourne qu’en rond, autour des mêmes mots, autour des mêmes vies, des mêmes désespoirs, d’adolescent déçu, et d’avaleur de sable »[1]. Six dédales sobrement intitulés « moments », « températures », « géographies », « états », « actions » que conclut « parler à Jack » et qui constituent le seul et même cercle d’un être aux prises de son temps qui passe. « Il est tôt dans ma vie, mais je me sens un peu tard déjà. »

Du Canada à la baie de Somme, le poète traverse des espaces terrestres mais aussi ceux de ses souvenirs, de ses mélancolies, des mots autour desquels il ne cesse de tourner dans un corps qui semble toujours difficile à habiter. « Je suis la touche du corps la chair en devenir je suis les gestes déplacés je suis la fuite des gestes et la main qui s’offre trop tard à la caresse / Je suis la peau dure et sèche et la fuite des désirs je suis les mains vides et sèches et les gestes arrêtés je suis le garçon arrêté et le geste empêché / Je suis la fuite et la demeure du repos sans fatigue je suis le garçon déposé celui de la marche assurée de la marche / Je suis le garçon renoncé / Par avance. »

Bien plus qu’un état des lieux poétique de ses trente ans, l’auteur dit les territoires qui se posent et se déposent sur les traces d’une façon d’être au monde. Sensible et robuste à la fois, Matthieu Freyheit gagne les rivages, épaissit les crépuscules, fuyant les évidences et toujours à rebours du sillon de ses phares. « Changer de voie, changer les ans et changer les saisons, les chemins piétinés, les mots, les doutes, s’il faut changer les pages, les traces, / Et les rires, et les marches, / Et les courses, / Et l’attente, s’il faut changer l’attente. »

Dans le silence de ces pages, on croise également la présence discrète de certains compagnons littéraires : Kerouac, Lowry mais surtout London à qui il s’adresse directement dans la dernière partie du livre. Avec eux, le poète ne se départit pas d’une forme de déclin qui lui semble inévitable : « on marche vers le mur, et non vers l’ouverture ; » ou encore « Notre besoin de dire ce refus de n’avoir / Rien d’autre qu’un enjeu à la place du cœur. » On pourrait redouter l’asphyxie et pourtant l’auteur parvient toujours à nous ramener vers la grâce d’une langue qu’il habite avec une émouvante détermination. « Et si c’est ça qui presse, le temps qui passe, m’en voulez pas, / De plus vouloir entendre, / D’être pas fait pour ça. » Un livre dont la beauté creuse la parole avec une tendresse remarquable.

[1] FREYHEIT Matthieu, Le Garçon renoncé, éd. La Crypte, 2017.